« Rentres. » Rien de plus, rien de moins. Un seul mot, qui voulait dire tant. Entre le moment où elle avait pressé le bouton envoyer, et le moment où elle aperçut enfin son frère ouvrir la porte d’entrée de la maisonnette qu’ils habitaient, Barbara eut l’impression qu’une éternité s’écoula. Mais il parait que c’est toujours comme ça. Dans les moments les plus difficiles, les situations affreuses, les secondes paraissent des minutes et les minutes des heures. La jeune femme d’une vingtaine d’années se trouvait dans un coin de la maison, les joues rougies par ses larmes, la voix enrouée de tant de cris et elle priait que sa mère ne soit pas brisée par les coups qu’elle recevait. Elle avait tentée de s’interposer déjà une fois, mais une violente gifle l’avait repoussée. Sa mère la suppliait de quitter la maison, de fuir. La brunette terrifiée n’était plus capable de rien désormais, elle avait l’impression que tout sa force et tout son courage l’avait abandonné. « Arrêtes ! » Son frère hurlait à plusieurs reprises, mais ses supplications ne semblaient pas décourager cet homme violent qui leur servait de père. Au contraire, sa rage se porta sur Peter, qu’il fit voler à travers la pièce. Dans un fracas terrible, le jeune homme vint terminer sa chuter au centre de la table basse du salon. Et ce fut la goutte d’eau, dans un dernier élan d’adrénaline, de haine, elle s’élança au cou de son géniteur et planta ses ongles sur son visage, tentant de se défendre elle et sa famille comme elle le pouvait. « Putain s’il-te-plaît papa calmes-toi, arrêtes s’il-te-plaît ! Papa ! » La jeune femme tentait encore de stopper son père dans son élan, en le mordant, le frappant de ses petits poings frêles. Mais il la repoussa d’une énorme claque qui la plaqua au sol. Alors que Barbara se trouvait dans un coin de la pièce paralysée par la chute qu’elle venait de faire, elle ne voulait plus le supplier, elle ne voulait plus être faible face à lui, ou quiconque. Elle rassembla ses dernières forces pour ramper jusqu’au corps de sa mère qui ne bougeait même plus sous les coups qui pleuvaient. « Maman.. » chuchota Barbara. Dans un dernier souffle, sa mère la supplia. « Va-t-en.. » Et comme si elle se devait d’exaucer le désir de sa désormais défunte mère, Barbara déposa un dernier baiser sur le visage boursouflé de sa mère et se faufila jusque la porte d’entrée. « Maman, maman, MAMAN ! » Une fois à l’extérieur, elle entendit la douleur de son frère. Le visage ensanglanté, des coupures sur les avant-bras et des vêtements salis par le sang de sa mère. C’est dans cet état-là que Barbara se rendit chez Léo, une de ses amies d’enfance. Une fois devant la porte de cette belle demeure qui ne ressemblait en rien à la sienne, elle attendit que son amie ouvre. « Léo.. » Un sanglot s’échappa. « Elle.. Elle est. Morte. » De là, elle sentit ses jambes faiblir. Léo la rattrapa à temps et la serra dans ses bras sur le porche de sa maison. « Chuut. Je suis là. Viens, on rentre à l’intérieur. » Depuis ce jour, Barbara devint une nouvelle jeune femme, elle se fit passer pour disparue, ne voulant plus rien avoir à faire avec son père, et par conséquent, elle devait couper les ponts avec Peter également. Devenue blonde, sans objectif, et brisée, elle ne s’en relèvera que quelques années plus tard, grâce à sa nouvelle famille.

« Je sais pas trop comment le prendre Léo, y’a une semaine il m’embrasse et depuis, plus rien. J’le reconnais même plus, je pourrais m’appeler Casper que ça serait pareil quoi. Il en a que pour ces grognasses qu’on croise en soirée. » Pourquoi se confier à elle en matière de relation amoureuse ? A vrai dire, tous les autres étaient sortis, et Barbie avait besoin de parler. Certes, Léo n’était surement pas la mieux placée pour lui donner des conseils en matière de couple, mais au fond, tant qu’elle pouvait se plaindre. « Ouais.. » Trop absorbée par sa pose de vernis, la jeune femme n’avait pas même relevé la tête. Vexée, Barbie la poussa, rien qu’un peu, mais assez pour la faire déborder. « Eeeeeh, mais pourquoi t’as fais ça. » « Parce que tu m’écoutes pas, grosse vache. » En vrai, elle l’aimait Léo hein, faut pas se fier à leur langage pas très élaboré, c’était leur manière à elles de se dire je t’aime. Chacun son truc. « Écoute Babe, toute la bande sait déjà que Micah et toi vous finirez ensemble, alors pour qu’il se rende compte de sa connerie, rien de mieux que d’aller voir un autre mec. » « Sérieusement. Ton conseil c’est de me mettre avec quelqu’un d’autre pour qu’il revienne. » « Bah ouais, fuis-moi je te suis, suis-moi je te fuis. » Restant quelques secondes à fixer Léo pour y déceler une pointe d’humour, la jolie blonde retourna à sa lecture en marmonnant : « Ouais, je savais que j’aurais du attendre que Loulou rentre. » Un coussin lui arriva en pleine face et un fou-rire de plus à inscrire sur la longue liste de ceux qu’elles avaient déjà partagés.

« Ça fait une heure qu’on t’attend mec, arrêtez de vous tripoter sous la douche entre coéquipiers et ramène tes fesses au Ruby. » Encore une fois, Jimmy se laissait désirer, encore une fois ils l’attendaient tous pour bouger au club où Barbie se produisait pour la première fois ce soir, en tant que dj. Une bande de potes, des habitudes, des coups de gueule, des fous rires, ils étaient passés par tous les stades, ils avaient vécu tellement de choses. C’est simple, Barbara les considérait clairement comme sa famille. Louise, « Loulou la relou », qui était la plus jeune d’entre eux mais qu’ils avaient accueilli les bras ouverts, était sûrement la plus sage. Jimmy, le sportif passait son temps au stade, à s’entraîner, et surtout, il aurait pu faire carrière en tant que chauffeur tant il trimbalait toute la bande dans tout sf. Léo, la dévergondée qui sautait sur tout ce qui bouge. Barbie s’était réfugiée chez elle lors de sa fuite, et leurs deux familles complètement folles à leur manière les avaient rapprochées. Enfin, Micah. Micah, son meilleur ami, sa version masculine, son repère. Elle éprouvait de vrais sentiments pour lui, mais apparemment tout ça n’était pas réciproque. La pression, la peur de se ridiculiser devant toutes ces personnes, qu’ils n’apprécient pas ce qu’elle produit, la peur de le perdre lui, de le voir embrasser une de ces nombreuses filles aguicheuses qui seront présentes ce soir. Le voir prendre une autre direction. L’avantage d’être dj, c’est que de son poste, elle pouvait tout observer. Une fois son heure de gloire achevée, la jolie blonde s’accorda quelques heures de bon temps avec ses amies. « Barbiiiiiiiiiiiiie, c’était génial. Franchement, tu devrais être élue dj officiel de la boîte, de TOUTES les boîtes de sf. » Léo, visiblement un verre de trop dans le sang s’appuya sur elle. « T’es un amour. Donne-moi une de tes boissons magiques, je vais avoir besoin de courage, ce soir je remplace Micah. » Les yeux écarquillés de surprise, Léo ne se fit pas prier pour servir son amie. Tous la félicitèrent un à un, sauf lui. Très bien, il voulait jouer à ça. Une fois son verre en main, Barbie le leva en direction de Micah. A ta santé mon pote, tu veux jouer, on va jouer. Tous les autres devaient sûrement avoir repérer le petit manège. Et Barbie suivit Léo dans la foule de gens alcoolisés qui dansaient en sueur sur des rythmes saccadés. « Bon, voilà, j’en ai vu trois là-bas. Un pour toi, deux pour moi. Parfait ! » Sacré Léo. Babe termina son quatrième verre cul-sec et suivit la jolie brune sans se faire prier. De fil en aiguille, la jeune femme blonde se retrouva à danser collé-serré avec le stéréotype d’un surfeur australien, puis leurs bouches se retrouvèrent collées l’une à l’autre, allez savoir comment. « Barbie. » Aucune réponse. « BARBIE. » Elle fit volte-face, se retrouvant nez-à-nez avec Micah. Regard noir, visage fermé, cela ne présageait rien de bon. « Tu viens on rentre. » Avoir le cul entre deux chaises, elle comprit bien le sens de cette expression à ce moment précis. « Non, je crois que je vais rester un peu. Je trouverais quelqu’un pour me ramener. Je suis sûre que.. » Merde, son prénom. « Qu’il pourra me raccompagner. » « Tu rêves. » Il lui attrapa le poignet fermement. « Micah, c’est toi qui rêves. Tu m’as pris pour ton jouet ? » Interdit, le jeune homme attendit quelques secondes, peut-être qu’elle change d’avis mais elle ne comptait pas le faire. Et à peine fut-il parti en direction de la sortie qu’elle regrettait déjà son geste. Elle l’avait peut-être perdu. Elle l’avait surement perdu. Mais qu’est-ce qu’elle se sentait conne. « T’es sûre que tu rentres pas avec nous Blondie ? » Jimmy, le regard inquiet, surement de la voir en si mauvaise compagnie. Elle le prit dans ses bras en le rassurant. « Je prendrais un taxi, mais ne lui dis-pas. » Il hocha légèrement la tête et partit rejoindre le reste de la bande. Seule Léo l’accompagna jusqu’au bout de la nuit.

Une fois de retour chez eux. Barbie prit soin de ne pas claquer la porte, les lumières de la cuisine étaient allumées. Etrange. S’approchant prudemment, qu’elle ne fut pas sa surprise de trouver Micah, assis sur l’un des tabourets du bar, dévorant un bol de céréales. « Putain. Tu m’as fait peur. » Relevant la tête, il semblait fatigué. « Quoi, tu pensais rentrer tranquillement avec ton surfeur bodybuildé tranquillement. » Haussant un sourcil, Barbie sentit l’embrouille arrivée à plein nez. « Je. Non. » Elle soupira en prenant place sur le tabouret voisin.  « Pourquoi tu le prends si mal. C’est toi qui m’ignore depuis une semaine. » « J’ai fais le con Barbie. » « Et encore, c’est un euphémisme. » Elle attrapa le paquet de céréales pour s’en servir un bol. Que c’était bon de manger en rentrant de soirée. « Ce soir, je me suis rendu compte que je ne voulais te voir avec personne d’autre, parce que c’est nous deux, ça a toujours été nous deux.. Non ? » Depuis une semaine, elle ne rêvait que d’entendre ces mots. Elle déglutit en avalant sa bouchée d’un coup. « T'as plus intérêt à jouer au con Samuels. » Et le début d’une longue histoire d’amour s’annonça, pour le plus grand bonheur –et soulagement- du reste de la bande.