Mes opales noisettes caressent son dos musclé lorsqu'il quitte le matelas. Mathieu. Attentionné, doux, gentil et en manque d'affection, le seul défaut sur le papier est l'adjectif pauvre. Il n'empêche que j'ai toujours l'impression de faire une oeuvre caritative avec eux, tout comme lorsque j'intercepte le regard de sa mère posé sur moi lorsque j'entre avec élégance et distinction dans la pièce, se demandant ce que je trouve à son fils. Moi aussi, je me pose la question. Il est bon au lit, c'est déjà pas mal. Il n'y a que sous les draps que je me sens entièrement vivante, comme si je me rendais compte de l'immensité de mon être que lorsque je suis utilisée comme une pièce complémentaire pour l'autre. C'est pitoyable mais il n'y a que comme cela que je peux survivre, je me sens moins seule, moins morte, moins machine. Alors comme un contrat tacite, il me fait vivre, respirer, j'accepte distraitement de me faire passer pour sa copine, tant qu'il en a l'illusion, c'est le principal. Tant que je le satisfais jusqu'à ce que je me lasse de lui et le quitte comme les autres. Il se retourne et je me fends d'un sourire des plus délicats alors que je fais mine de remonter pudiquement le drap sur ma poitrine nue, ridicule, mais il aime mon côté faussement prude. S'il savait ... « Tu ne dois pas voir tes parents ce matin? » lâche t-il alors que je range son air dans ses expressions graves qu'il utilise lorsqu'il pense que je vais trop loin, que je dépasse les bornes. Sauf que cela bien des années que j'ai détruit mes barrières. « Si mais j'estimais que j'avais mieux à faire avec toi » je mens sans aucune honte de mon doux soprano en flattant hypocritement son ego. « Et puis crois-moi, j'ai toujours deux heures de retard, je ne veux pas les perturber en bousculant leurs habitudes » j'explique très scientifiquement en expulsant un soupir presque lascif d'entre mes lèvres. « J'ai donc besoin de m'occuper» je laisse échapper en lui lançant un air mi-vierge, mi-salope totalement maîtrisé à force de pratique. Mais il ne semble pas de cet avis puisqu'il commence déjà à s'habiller. Je me laisse tomber de désespoir sur le dos, rebondissant quelque peu sur le matelas. « Tu devrais y aller » il insiste bien que je n'en comprenne pas la raison. Il ose poser un baiser qui se veut tendre sur mon front, je ne peux m'empêcher de le regarder comme s'il m'avait insulté. A quoi il joue ? Ils aiment tous jouer aux protecteurs, à celui qui arrivera à ramener mon âme sur le droit chemin à force de rationalité et de réflexion.


D'un geste délicat, j'écarte le morceau de viande, un sourire moqueur au bord des lèvres parce que j'ai l'impression que notre mère est nostalgique de la France pour nous avoir servi un boeuf bourguignon. Néanmoins, il reste immonde et pas adapté à mon délicat palais. J'évite scrupuleusement de croiser le regard de ma demi-soeur, de peur de lui donner une idée de conversation, je ne lui en veux pas, la nature l'a faite conne, mais je regrette cette manie de se donner un genre en tentant de parler politique alors qu'elle n'y comprend rien. La plupart du temps, je lance des regards affligés à mon paternel qui ne peut qu'approuver mon sentiment de désespoir constant. « Tu nous parles jamais de ta vie Rox » commence Jane en me regardant. Eh voilà, elle est lancée. « Parce que tu n'y comprendrais rien » je lance de ma voix caressante le tout animé d'un sourire presque condescendant. Oui, elle s'est lancée dans l'art, moi, dans le droit. Radicalement opposée, on n'a pas grandi ensemble parce que je lui rappelle constamment qu'elle n'est le fruit de l'adultère de mon paternel. J'ai simplement accepté qu'elle vive avec nous par pitié.  « Et parce que je n'ai rien envie de te dire » j'esquisse de mon timbre glacial en plantant mes prunelles sévères dans les siennes qui se font rieuses. Tout l'amuse, mon énervement contre son existence qui n'aurait jamais due être l'amuse. « Tu ne fais aucun effort » me provoque t-elle une fois de plus.  Parfois j'aimerais lui faire comprendre que l'ambiance tendue de la maison n'est due qu'au fait qu'elle nous pourrit en respirant le même air que nous. Mais je me tais, docile, par respect pour mon père qui semble lui porter une énorme affection, plus qu'il ne l'a jamais fait avec moi. « Si je t'offre toujours un peu de mon attention que tu gaspilles en babillages futiles et dénudés de sens. Mais je t'écoute, je t'écoute tellement que parfois j'arriverais presque à en oublier que tu n'es qu'une pièce rapportée dont j'ai eu la bonté de m'occuper » je lui lance de ma voix délicate alors qu'elle ne m'offre que son majeur en retour. C'est la vérité. Elle le sait. Sans moi, elle ne serait rien, elle n'aurait pas une gallérie d'exposition qu'elle pourrait faire visiter à ses amis plus bobos les uns que les autres. Je soupire, en faisant reculer la chaise bruyamment contre le sol. Me fendant d'un sourire pour mes parents spectateurs, je décide de rejoindre ma chambre.


Je tombe sur mon portable mis en évidence sur une table au bout du couloir. Curieuse, je ne peux pas m'empêcher de tapoter maladivement le code afin de forcer son intimité. Des sextos en pagaille. Ça me met hors de moi. Papa trompe maman, c'est devenu d'une banalité extrême. « Tu me dégoûtes» je lâche froidement en le toisant avec agressivité. Je balance son iphone sur son lit. Il fronce les sourcils, me prenant une fois de plus pour une conne avant d'avoir la décence d'arrêter. « J'y peux rien » il se plaint en me donnant envie de vomir. Ma main se démange, mais je ne m'y risque pas. « Et puis tu pourrais comprendre, on est pareil » il m'achève. Je manque de m'étouffer avant de rouler des billes. C'est la phrase de trop, je commence à m'éloigner, dessinant ma sortie digne de la plus grande drama queen. « Alors je suis plus intelligente parce que je m'arrange pour ne pas faire souffrir ceux que j'aime, mon entourage» je lui réponds avec une certaine lassitude, parce que j'en ai marre de me battre pour tenter de garder une famille qui part en vrille. Sauf que je ne compte pas laisser éternellement cette main qui me tient la cheville pour m'empêcher de remonter à la surface, de respirer, de me battre pour vivre.  « Sauf que tu n'aimes personne » il me veut me corriger.  « Si tu veux » je réponds d'un air désabusé avant d'hausser les épaules parce que j'arrive même pas à savoir lequel de nous deux est dans l'erreur. Je sais aimer. Mais pas eux.  « Tu vas où ? » il ajoute en esquissant quelques pas dans ma direction. « Je ne sais pas encore » je lui dis simplement. Je ferme délicatement la porte avant d'attraper ma veste estampillée Channel et de sortir pour choisir au hasard un nom dans mon répertoire et lui prouver qu'il a tord.