Je sors de la douche, enroulée dans une serviette propre et sèche qui sent bon la lessive. Je la porte jusqu’à mon nez pour en respirer l’odeur que je hume comme si ma vie en dépendait, les yeux clos pour mieux en profiter. L’avantage de vivre dans la rue depuis dix ans, c’est qu’on apprécie la moindre petite chose. Ma vision des choses est bien différente de celle de tous ces gens qui passent chaque jour devant moi lorsque je fais la manche. «Tawny chérie j’ai fait une lessive, tes vêtements seront secs d’ici une petite demi heure.» Elle plaque un baiser sur mes lèvres et je soupire un peu. Voilà tout ce que je déteste. Devoir être bloquée quelque part pour X raison. Être retenue contre mon gré, à cause d’une décision que je n’ai pas prise. Je ne lui ai jamais demandé de laver mes vêtements. Même si quand je descendrai, je serai bien contente d’être toute propre, de sentir bon. Alors que je me brosse les dents, Kate arrive derrière moi et m’enlace, me regardant à travers le miroir. Elle dépose un baiser sur mon épaule. Je croise à peine son regard. Je fuis. Parce que je sens que je ne vais pas aimer cette discussion. «Tu veux pas t’installer ici pour de bon ?» Je m’arrête net et crache mon dentifrice dans le lavabo. «Quoi ? Mais non !» Je me retourne vers elle et la regarde longuement. «Tu sais très bien que tout ça c’est pas pour moi.» Je lui montre la pièce. Cette salle de bain immense, parée de marbre et de dorures, de choses qui coûtent plus cher les unes que les autres. «Mais on serait bien ici toutes les deux. Tu pourrais aller et venir quand tu voudras. Faire ce que tu veux...» «C’est déjà ce que je fais. Et si ce qu’on vit là ça te suffit pas, alors il vaudrait mieux que je ne remette pas les pieds ici.» «Mais non dis pas de bêtises.» Elle dépose un nouveau baiser au coin de mes lèvres. «Oublies ce que je viens de dire d’accord ? C’est très bien comme ça.» Je hoche la tête, avec une once de nonchalance. Je tiens beaucoup trop à ma liberté pour m’enchaîner à quelqu’un. Devoir vivre avec une personne, devoir faire des efforts, devoir composer à deux. Trop peu pour moi. Je préfère de loin vivre dans la rue, seule, libre, sauvage. «Y’a une fille qui m’a proposé de m’héberger quelques temps. Avec ce froid, j’me les gèle.» Je vois son visage se décomposer. La jalousie sûrement. Qu’est-ce qu’une autre femme pourrait m’apporter de plus qu’elle. C’est certainement ce qu’elle est en train de se demander. «J’ai pas encore dit oui.» Elle ne comprend pas. Ce qu’elle ne comprend pas, c’est que cette fille en question, elle vit avec le mec qui me fascine depuis plusieurs mois. Et que mettre les pieds dans leur appartement, ça n’a pas de prix comparé à vivre ici à plein temps. De toute manière, je me suis fait une raison. Personne ne comprendra jamais comment je peux choisir la rue, à un appartement aussi luxueux que celui là. Mais c’est mon quotidien, il me rassure, je me sens mieux dans la rue que n’importe où.