La tête penchée, il attend. Le vent rebelle fouette ses cheveux, éteint sa clope à petit feu. Les rayons du soleil lui brûlent la peau, son café refroidit doucement. L'air est frais, le monde ralentit. La fumée s'envole dans les airs, la chaleur se dissipe dans l'atmosphère. Ouais, il attend. Une main enfouie dans la poche de son jean, l'autre exposée à l'air libre ses doigts tenant en otage une cigarette à peine entamée. Au loin le soleil se meurt. Ses pieds balancent dans le vide, un faux mouvement et il tombe. Sa clope danse au bout de ses doigts. Il la fait virevolter, danser un tango endiablé entre ses phalanges. Il tire une dernière fois, la fumée emprisonne ses poumons. Son rythme cardiaque ralentit, enfin. Il le sent, il l'entend, il l'écoute. Son portable vibre sur le bitume. Il laisse les pulsations du bout de plastique mourir dans l'air chaud qui l’entoure. Il inspire profondément. Le temps ralentit, il peut enfin le rattraper. Seconde après seconde ses pensées s’emmêlent et s'démêlement. Il pense à tout. Il pense à rien. Rafaël se laisse porter par la douce mélodie. Cette musique insonore qui le fait planer loin, là-bas. Mètre après mètre, heure après heure. Parfois, il lève la tête. Il aperçoit un bout de vie, des gens, des animaux qui jaillissent d'en bas. Au pied de cette falaise mortelle. Il aime être là, assis au bord de tout. San Fran qui s'dessine devant lui. Il a presque l'impression d'être seule au monde. Et il a ce sentiment qui naît au fond de son ventre, cette sensation stupide qui lui arrache un sourire; là en ce moment tout est possible. Bordel. Tout. La sensation est magique. Sa main se coince dans ses cheveux qu'il ébouriffe vigoureusement avant de basculer en arrière. Il est bien là, étendu sur le tapis d'herbe. Mais putain qu'est-ce qu'il se sent con à jouer à l'hipster paumé. Il aime le tragique, cloper en regardant le soleil mourir. Rafaël, c'est une toile humaine, un tableau vivant qui aime être regardé, qui aime être déchiffré sans jamais vraiment révéler ce qui se cache derrière les dizaines de coups de peinture nerveux. Le brun regarde le ciel qui s'étend devant lui les lèvres pincées. Qu'est-ce qu'il est cliché, cliché à en vomir. Rafaël sourit. La cigarette danse, tangue au bout de ses doigts mais il n'y prête pas attention. Il se redresse, joue avec le vide. Elle, elle se consume alors que les lumières de la ville se réveillent. Son regard capte la vie, là au fond du précipice. Son mégot se fend sur le sol. Il émerge.

Blake le vent, l'impulsivité. il était le seul au courant pour sa fuite, le seul à avoir continué à lui parler malgré les kilomètres qui les séparaient. elle lui a demandé de ne rien dire. croix de bois, croix de fer, si j'mens, j'vais en enfer.
Bianca le feu, la passion. il a pour elle un respect sans limite. son modèle, son rayon de soleil.
Zelda l'eau, la légèreté. surprotection. personne ne la regarde, personne ne la touche. il est prêt à cogner pour se faire comprendre. il l'a déjà fait.
Les Cassidy.

Plus rien. Plus rien du tout. Seulement des souvenirs qui lui tuent l'esprit, l’achèvent à petit feu. Parfois, il replonge dans le passé, en apnée, il se laisse submerger par ces fragments éphémères, ces paroles, ces regards, ces endroits que parfois, il préférerait complètement oublier. Jamais il n'aurait imaginé qu'un jour, tout se casse la gueule. Pas entre eux, c'était juste impensable, impossible. Sawyer et Rafaël. Depuis qu'ils étaient gosses bordel. Il pensait que leur château de cartes était couvert de ciment, que ce truc entre eux était impérissable. Il avait oublié un léger détail. Lui. Il était une constante suffisante pour faire exploser tout type de relation. Une putain de bombe à retardement brisant tout ce qu'elle effleure sur son passage. C'est plus fort que lui. C'est sa faute. Cercle sans fin. Ils ont eu des altercations, ils étaient capables de se faire la gueule pendant des jours sans s'adresser la parole une seule fois, mais peu importe le temps que cela durait, ils finissaient toujours pas revenir l'un vers l'autre. C'était ce pacte tacite qu'il y avait entre eux. Là, ici, maintenant, c'est différent. Rafaël attend et Sawyer, elle, va de l'avant.

Le fauve en liberté, la panthère dorée. Coleen. Sous son emprise. Emprisonné dans cette cage de soie, cette prison de velours. Aucune issue, aucun moyen de s'échapper. Il est totalement à la merci de sa crinière ambrée, de sa peau mordue par le soleil d'été. Jamais il ne lui avouera, jamais il ne se l'avouera. Parce que c'est dans sa nature, la contradiction. C'est lui. Blanc, noir, nord, sud. Tout en même temps, et puis tout et rien aussi. Aucune logique, aucune ligne directrice. Seulement un chemin sinueux, encombrés d'obstacles et d'une centaine de paradoxes. Là-bas, au loin, ils se tuent verbalement. Tous les deux  perchés à quelques dizaines de mètres du sol, en équilibre sur cette corde instable. Ils avancent en risquant une partie d'eux à chaque pas. La pluie leur noie la peau, mais ils continuent sans relâche à se défier, toujours plus violemment, plus passionnément, bancales, de chaque côté de ce vide immense. La corde est humide, les prises sont rares, presque inexistantes. Et ils continuent de tromper les éléments. Ils, mais elle surtout. Lui, il est déjà tombé, tout en bas. Il ne reste plus que son ombre, celle qu'il tente de continuer à faire vivre à travers ses remarques acerbes, perverses, ces conneries qu'il ne pense pas réellement. Il se contente de se voiler la face, il continue à croire qu'il mène la barque, qu'il gère ses sentiments, qu'il contrôle sa vie, ses réactions, qu'il se contrôle lui, surtout. Douce illusion. Au début, deux revolvers chargés. Elle a tiré. Il est tombé. Il a reçu sa balle en plein cœur, elle a ricoché contre son organe tremblant, lui a décroché un bout de raison. La décharge a bousillé tout espoir de retour en arrière. Il est foutu. Complètement. Et pourtant il continue de jouer avec ce voile qui l'aveugle sans même qu'il ne s'en rende compte. Tout ça parce qu'il ne veut pas que ça s'arrête. Pour rien au monde. Jamais. Putain, il aime quand elle le contredit, il aime quand elle le défie, il aime quand elle le pousse dans ses limites, jusqu'à ce qu'il craque, jusqu'à ce qu'il cède à son tour, il aime ce bordel immense qu'ils créent tous les deux. Presque malsain. Et ouais, justement. Il aime. Et c'est là qu'est tout le problème.