On attend d’un prince qu’il soit souriant, photogénique et bien coiffé. On attend d’un prince qu’il soit gentil, aimable et stable. On attend d’un prince qu’il montre l’exemple, qu’il marche droit, qu’il marche au pas. On attend d’un prince qu’il soit tout sauf moi. Alors tant pis pour les tabloïdes, tant pis pour les traditions. Moi j’ouvre les bras à la vie. J’embrasse les scandales, les jolies filles, les bonnes soirées. J’embrasse la bonne bière, les joints sur le canapé, les nuits sans sommeil. Et j’aime ça. J’aime ma vie. Mais je refuse de me contenter de celle qu’on m’a prescrit. Je refuse d’entrer dans les traits du prince monégasque que l’on attend que je sois. Je refuse de vivre comme un mort parce qu’une maladie habite mes poumons. Alors voilà pourquoi j’en suis ici. Voilà pourquoi on m’apprécie. Parce que je suis bon vivant. Voilà pourquoi mon cas fait pitié. Parce que j’ai la mucoviscidose qui squatte ma cage thoracique. Ça avait bien commencé, pourtant. Je me rappelle encore de maman en train de sourire au fond du jardin. Et de Louise qui lui courait après. On était beaux tous les trois. Beaux comme un tableau. Un tableau sans fissures, un tableau sans retouches. Puis y’a eu le cancer. La régression. Et la mort. Le beau tableau s’est effondré. Émietté. Et on a laissé les restes quelque part. Au fond du jardin de notre ancienne maison, dans un petit trou à l’abri des regards. Quant à Louise et moi, ils nous ont jeté sur un rocher. Dans une famille inconnue, qui nous demandait monts et merveilles. Pour des gosses venant de perdre leur mère, c’était trop. Trop dur. Mais Louise a réussi. Elle a fait de son mieux, et elle s’en est sortie. Elle est devenue ce qu’on voulait qu’elle soit. Et je suis fier d’elle pour ça. Sauf que moi, j’ai pas fait comme ça. Je me suis transformé après la mort de maman. J’ai décidé de n’en faire qu’à ma tête. De déborder de leur vase doré. Chère famille princière de Monaco, cher père, je ne serai pas celui que vous attendiez. Je ne serai pas le fils que vous espériez. J’aurais pu être celui de maman. J’aurais voulu être celui de maman. Mais on me l’a enlevée. On l’a emportée. Et avec elle, c’est celui que j’aurais pu être qui s’est envolé. Alors voilà, il ne reste plus que moi. Sans artifices, sans perfections. C’est vrai que j’ai l’air d’une épave quand on regarde de loin. Mais si vous venez un peu plus près, vous verrez que j’ai appris à vivre avec ça. Avec mes cicatrices et mes blessures. Vous verrez que j’emmerde les principes du palais, et que seuls m’importent les plaisirs des rues. Les plaisirs des jeunes. Les plaisirs de ceux qui vivent. De ceux qui rient dans les bistrots. Qui sautent à cloche pied dans les métros. Qui nomment les étoiles comme on nomme les nouveaux-nés. Ma vie me convient telle qu’elle est. Elle est belle parce que j’ai décidé qu’elle le soit. Alors oui, je suis le prince le plus imparfait qui soit. Oui je sors dans des lieux que je ne devrais pas fréquenter (on ne parle ici que de simples boites, mais les boites sont trop vulgaires pour la famille princière). Oui je dis ce que je pense avec les mots qui me plaisent. C’est peut-être moche pour certains, mais c’est ainsi. Et ça me plait parce que de cette manière, je détourne l’attention des médias. On ne parle plus que des frasques de l’enfant terrible de Monaco. Et on en oublie ma maladie. Ils peuvent penser de moi ce qu’ils veulent, tant qu’ils m’épargnent leur pitié. Moi, Adam-Jon Grimaldi-Harbord de Monaco, je n’ai que deux aspirations sincères dans la vie (à part celle de vivre pleinement j’entends). La première est d’aimer et protéger ma jumelle, la prunelle de mes yeux. La seconde est d’aider une fille à réaliser ses propres aspirations. Et sur sa liste des choses à faire, je voudrais être celui qui raiera le dixième point : tomber amoureuse.