Le rêve.
Avoir un rêve, c’est donner un sens à sa vie. Lui donner un but. Certains rêves sont inaccessibles. Trop surréalistes. Mais d’autres sont à portée de main. Il suffit de se battre, de tout donner, et de ne jamais baisser les bras. J’avais un rêve. Devenir joueur de football professionnel. Je l’ai effleuré, du bout des doigts, mais il s’est évaporé. J’y ai pourtant cru, naïvement. Quand j’étais gosse, mes parents ont tout fait pour me laisser y croire. Ma mère, surtout. Elle ne voulait pas briser mes espoirs. Elle voulait que je sois un garçon comme les autres. Comme ceux qui peuvent se permettre de rêver qu’ils deviendront astronaute, ou bien pompier. Alors elle a convaincu mon père de me laisser jouer au football. De me laisser penser que mon destin n’était pas déjà tracé. Ils m’ont même laissé postuler pour intégrer un grand centre de formation en Angleterre. Il était là, mon rêve. Ce centre de formation était ma porte d’entrée vers le monde professionnel. Mais mon père a tout arrêté. Il a tout brisé. D’un claquement de doigts. « C’est fini Raphaël. Y’a plus de football. Tu deviendras ce que tu dois être. Et ce n’est certainement pas un de ces gigolos courant derrière un ballon. Ton destin est bien plus grand. » Mon père m’a ébouriffé les cheveux, comme si c’était rien. Comme s’il ne venait pas d’effacer d’un simple geste de main ce qui comptait le plus à mes yeux. Et moi j’ai souris, bêtement. Mais j’étais brisé. Aujourd’hui, j’ai accepté mon destin. J’ai hérité de l’entreprise de mon père. Je n’ai plus de rêve, mais j’ai un but. Faire en sorte que mes parents soient fiers de ce que je fais, de la vie que je mène. Et à côté de ça, il y a ma petite soeur. Leïla. Mes parents ayant brisé mon rêve, ils n’ont pas eu la force de briser le sien. Alors elle peut y croire encore. Et je ferai en sorte qu’elle l’atteigne.

La passion.
J’ai connu plusieurs femmes. Des belles, des intelligentes, des bien foutues. Mais y’a jamais eu de grand amour, et encore moins de passion. Puis il y a eu Cali. Je l’ai su tout de suite. Avant même que l’ascenseur n’ouvre ses portes. Ma vie allait changer. Et quand je l’ai vue, ça s’est confirmé. La beauté est bien trop insignifiante à ses côtés, presque inexistante. Cali est bien plus que ça. Tellement plus que ça. Elle est ce dont les mots ne peuvent parler. Il faudrait en inventer de nouveaux. Mais aucune sonorité ne serait capable de la décrire sans lui faire défaut. Il faut se placer à l’intérieur de moi pour comprendre. Pour comprendre le feu qu’elle anime, le désir qu’elle crée. J’ai entendu parler d’amour passionnel, d’amour incontrôlable, inégalable. Un peu comme on entend parler de légendes. Je n’y ai jamais cru avant elle. Elle est arrivée comme le soleil en pleine tempête. Captivante, enivrante. « Cali Matthews, nous vous attendions. » Ma voix se fit murmure. « Raphaël Wickham. » Puis nos mains se sont serrées. Au contact de sa peau, la mienne est devenue bouillonnante. Mon coeur s’est mis à battre plus vite, plus fort. Il m’a fallu écourter la réunion de bienvenue que nous lui avions préparé, prétextant qu’il serait plus instructif pour elle que je lui explique tout ça en lui faisait visiter les lieux. À travers ses regards, j’ai senti que ce que je ressentais était réciproque. Et nous nous sommes retrouvés dans un placard à balais, incapables de résister au désir qui nous brûlait les doigts. Tout est allé très vite ensuite, comme une évidence. Même si au boulot, je tenais à ce que notre relation reste secrète. Je devais garder cette image professionnelle, et entretenir une relation avec une de mes employées serait dévastateur. Alors je me suis montré froid avec elle, peut-être même irrespectueux parfois. Cela a causé de nombreuses disputes entre nous, mais elles étaient insignifiantes à côté de l’amour fusionnel qui nous liait. Et deux ans plus tard, nous nous sommes mariés. Pour le meilleur, et pour le pire.

L’effondrement
Le pire est arrivé. Inattendu, inévitable. Il s’est jeté sur nous, sans doute jaloux de ce que nous vivions. Il a arraché la toiture, abattu les murs, détruit les meubles. Je suis rentré du boulot, et je l’ai trouvé. Par terre, comme oublié par inadvertance. Un papier, une lettre. Signée de l’hôpital. Je l’ai ouverte, inconsciemment. Il m’a fallu la lire à treize reprises avant de réaliser. Cali Wickham. Avortement. Avortement. Cali Wickham. Ma femme. Je me suis servi un verre de whisky avant de m’asseoir sur le canapé, les jambes croisées. J’ai essayé de ne plus penser, de me concentrer sur le silence assourdissant. Puis elle est arrivée, claquant la porte. Elle semblait exténuée, presque à bout de souffle. Comme victime de ce qui nous arrivait. Mais n’en était-elle pas la cause ? Les questions me torturaient. Elle s’est excusée, en un murmure. Mais j’ai commencé à hurler. J’étais dévasté, sans vraiment savoir ce qui nous arrivait. Puis elle a avoué. Cali, infidèle ? Mes sourcils se sont froncés. Je ne pouvais pas y croire. Mais j’avais ce papier entre les mains. Ce putain de papier. Le pire est arrivé. Inattendu, inévitable. J’ai saccagé le salon. Détruit les photos de nous. Signé les papiers du divorce.