Chapitre 1
Les pieds dans le sable, je suis concentré. Mon regard sur les vagues, je ne perds pas une miette de ce qui se passe autour de moi. Mon coeur s’accélère doucement quand j’entends dans les hauts parleurs que je serai le prochain concurrent à passer devant les jurys. Les vagues se font plus violentes de minute en minute. Stephen accourt vers moi - Stephen est en quelque sorte mon agent, mon assistant, mon meilleur ami aussi - et me tend mon téléphone. « Nuno, c’est Carly, c’est urgent apparemment. » « Urgent ? » Je prends le poignet de mon ami et regarde l’heure. Il me reste une minute. Je récupère le téléphone. « Chérie ? Qu’est-ce qui se passe ? Je dois aller concourir, c’est à moi dans une minute. Ça va pas ? » « Si, enfin… non pas trop, il faut vraiment qu’on parle. J’ai annulé ma réunion de boulot de ce soir, il faut qu’on se voit. Je passe chez toi vers 20 heures. » « Ok mais, dis moi de quoi il s’agit ! J’vais flipper avec tes histoires ! » « C’est juste que… non, on en parle ce soir. Déchire tout ! ». Je sens que quelque chose ne va pas, et ça me tracasse. Ce n’était pas le moment. Pourtant, quand j’entends mon nom, il faut que j’y aille. Je redonne mon téléphone à mon meilleur ami et souffle un bon coup avant de prendre ma planche, et courir vers l’eau, qui m’attend et m’appelle.
Une vague, puis deux. La deuxième m’est fatale. Je ne suis pas concentré, pas présent, je pense à Carly, cette chose importante qu’elle avait à me dire. Et la vague m’emporte, je prends ma planche en pleine tête, de plein fouet. Inerte, au fond de l’océan, c’est le trou noir. Mon coeur se remet à battre lorsqu’un secouriste me fait un massage cardiaque. C’est étrange je reprends conscience, mais mon corps lui ne réagit pas. Je peux entendre l’eau, sentir la main du secouriste qui me demande si je l’entends, si je peux sentir sa main lorsqu’il serre la mienne. Je peux la sentir oui, mais je ne peux pas répondre, mes lèvres ne bougent pas, j’ai envie de hurler, hurler que je suis en vie. Je ne veux pas qu’il me mettent dans un cercueil. ALLO ! JE SUIS EN VIE ! Mes yeux ne s’ouvrent pas, je peux sentir la chaleur du soleil sur mes paupières, et toutes ces voix autour de moi, puis la sirène des ambulances et des pompiers. « Il est toujours inconscient, mais il respire, mettez-le sous oxygène, on l’emmène aux urgences. »
Chapitre 2
Pourquoi je n’arrive pas à ouvrir ces foutus yeux, bordel de merde ! Je m’y efforce pourtant, tous les jours un peu plus. Je ne peux pas rester là, inerte, dans un lit d’hôpital, avec toutes ces machines qui font bip bip et qui m’empêchent même de dormir la nuit. Ça ne me ressemble pas, je suis un battant, je suis courageux, je ne peux pas m’y résoudre. Foutez-moi la paix putain. La porte s’ouvre. Qui ça peut-être cette fois, je n’ai aucune notion de l’heure, je ne mange plus, je suis alimenté par sonde. Je ne sais même pas depuis combien de temps je suis là. Trop longtemps selon moi. J’entends des pas, et j’essaie comme à chaque fois de deviner qui ça peut être. Ce sont des talons, j’en déduis donc que c’est une femme. J’ai 5 soeurs, je les ai comptées. Bizarrement, depuis que je suis dans ce coma, je ne me souviens de rien. Rien de ce qui a pu se passer avant mon accident. Quelques vagues souvenirs, par-ci par-là, ou des indices que laissent traîner mes soeurs quand elles me parlent. Mais tout le reste a disparu.
C’est donc peut-être une de mes soeurs, elles me rendent visite une par une, ou en binôme, pratiquement tous les deux jours, pour les plus courageuses. C’est peut-être Beth qui vient me lire les nouvelles. Grâce à elle je peux me tenir informé. C’est marrant, il y a 2 sortes de personnes, celles qui imaginent que peut être mon cerveau est toujours en marche, et que je peux sans doute sentir, ressentir et entendre des choses, même dans le coma. Et puis il y a celles qui restent silencieuses, pensant que je suis presque mort. Ma grand mère fait partie de la seconde catégorie, et elle vient me pleurer dessus chaque fois qu’elle le peut. Je peux même sentir ses larmes couler le long de mes bras. J’aimerai tellement me redresser et la prendre dans mes bras, mais j’en suis totalement incapable.
Les pas se rapprochent, doucement. Je commence à sentir un parfum, et je le reconnais en une fraction de secondes. C’est Kiana, mon infirmière attitrée. C’est elle qui s’occupe de moi depuis que je suis arrivé. Elle, elle fait partie de la première catégorie. Elle me parle, parfois même lorsqu’elle a fini son service, elle vient s’asseoir sur une chaise près de moi, et me raconte sa journée. Je ne compte pas le nombre de fois que j’ai essayé de toutes mes forces d’ouvrir les yeux, pour la voir, juste pouvoir la regarder. Je l’imagine avec un visage fin, presque angélique. Sa voix est douce, posée, elle a l’air presque timide. Blonde ou brune, je n’en ai aucune idée, je sais juste qu’elle a les cheveux longs, je l’entends souvent refaire son chignon ou sa queue de cheval, son élastique claque entre ses doigts. Elle a les mains terriblement douces, chacun de ses gestes est fait en douceur. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression qu’elle m’aime bien. Je l’ai déduis quand j’ai compris qu’elle venait systématiquement me rendre visite avant la fin de son service, pour me dire au revoir. Il y a quelques jours, elle a même posé un baiser sur mon front, peut-être pour essayer de me réveiller, comme dans tous ces contes que nos parents nous lisaient lorsqu’on était enfants. Impossible d’imaginer son âge. Elle est jeune, ça s’entend au son de sa voix, mais je ne peux pas en déduire plus, malheureusement. Lorsqu’elle croise mes soeurs dans ma chambre, elle s’arrange toujours pour leur donner de mes nouvelles, leur dire s’il y a du changement dans mon état. Elle a toujours été très positive quant à mon réveil.
Chapitre 3
Elle vient de plonger sa main dans la mienne, c’est la première fois. Je me sens pris d’un long frisson qui parcourt la totalité de mon dos. C’est la première fois depuis que je suis ici que je peux sentir une chose pareille. «Nuno, il faut te réveiller. Les médecins ont parlé de débrancher les machines, ils n’ont plus espoir que tu te réveilles. Je sais que tu peux le faire.» Kiana est sûrement la personne qui croit le plus en moi, pourtant, je ne la connaissais pas il y a encore quelques mois. Sa phrase est comme un électrochoc. Me débrancher, il veulent que je meurs, alors que je suis en vie. Je ne peux pas les laisser faire. Je regroupe toutes mes forces, toutes celles nécessaires pour bouger mes doigts. Suffisamment pour qu’elle sente que je suis bien là, et que je ne veux pas partir. Je ne veux pas qu’ils me foutent dans un cercueil. «Oh mon dieu.» Je crois que j’ai réussi. Je pourrai presque sentir son coeur battre à une vitesse folle dans le bout de ses doigts. «Nuno, tu m’entends ?». J’avale ma salive, je ne peux pas encore parler, les muscles de mes mâchoires sont complètement anesthésiées par le temps, elles n’ont pas bougé depuis si longtemps. Mon corps semble soudain reprendre vie, je serre de nouveau sa main, fébrilement. J’essaie d’ouvrir les yeux, je m’y effrorce, j’y mets toute ma volonté. Mes paupières bougent doucement et j’entrouvre les yeux mais les referme aussitôt, aveuglé par la lumière du jour, que je n’ai pas vu depuis bien trop de temps. Je reprends vie, et j’emmerde tous les médecins qui n’ont pas cru en moi.
Chapitre 4
«Mr Beleza, je vois que vous avez repris des couleurs !». Mes yeux commencent à voir presque correctement, de moins en moins flou. J’esquisse un semblant de sourire. Je suis en vie. « Nous allons faire une batterie d’examens, pour voir où on en est.» C’est long, très long, trop long. Et puis, pourquoi Kiana est partie avant que je n’ai pu ouvrir les yeux ? Bizarrement, je ne pense qu’à elle à cet instant. Au moment où je pourrai poser mon regard sur elle, la remercier. Parce que c’est beaucoup grâce à elle quand même. Mon cerveau a l’air de bien fonctionner, même si c’est encore un peu flou quant à ce qui s’est passé avant mon accident. La mémoire me revient peu à peu, Carly, son appel, mon coeur se met à battre un peu plus vite. Elle n’est jamais venue me voir à l’hôpital. Jamais. Le médecin soulève la couverture et commence à tester mes réactions. «Mr Beleza, vous êtes avec nous ?» Je le regarde. «Oui, pardon, j’étais... dans mes pensées.» «Vous sentez quelque chose si j’appuie ici ?» Le médecin me pince un doigt de pieds. Je ne sens rien. Absolument rien. «Non.» «Vous pouvez essayer de lever un peu vos jambes, une par une, ou au moins les genoux ?». Impossible. Je fronce les sourcils et m’y efforce au maximum. Rien ne bouge. «Qu’est-ce qui se passe docteur ?» «On va vous emmener faire un IRM voir ce qui se passe.»
Quelques heures plus tard, IRM passé, le médecin entre dans ma chambre. «Mr Beleza j’ai une nouvelle quelque peu difficile à vous annoncer.». J’ai peur. «Suite à votre coma, une partie de votre cerveau n’a pas été irrigué, pendant 4 mois. Malheureusement, comme pour la plupart des comas profonds et prolongé, il peut y avoir des séquelles.» «Des séquelles ? Quelles séquelles ?» «Vous avez perdu l’usage de vos jambes.» Mon dieu. C’est une blague ? Je reste stoïque, même si j’ai envie de hurler. J’aurai mieux fait d’y passer. Si je ne peux plus me servir de mes jambes, je ne peux plus vivre. Plus de surf, plus de sensations de mes pieds dans le sable. Mes yeux s’embuent. «Rien n’est jamais définitif, rassurez-vous. Mais ce n’est pas une science exacte. Nous n’avons pas assez d’éléments, tous les gens sont différents et réagissent de manière différente. Vous allez rester ici encore quelques temps, nos médecins vont tout faire pour arranger ça.» Arranger ça ? Mais il se fout de ma gueule lui ? Je vais peut-être plus jamais marcher, putain. PUTAIN !
Je boue de l’intérieur. «Dr Keeghan, on vous appelle en salle de réanimation.» La voix de Kiana vient de me sortir de ma torpeur. Je peux pour la première fois poser mes yeux sur elle, et bizarrement, elle m’apaise et me calme instinctivement. Elle est magnifique.
Chapitre 5
Quelqu’un frappe à la porte de ma chambre. J’autorise l’entrée, espérant que ce soit Kiana. Au lieu de ça, c’est une autre jeune femme que j’aperçois. Carly. Un gros bouquet de fleurs cache la moitié de son visage. Elle sourit, mais c’est un sourire triste. «Bonjour bel inconnu !». Elle pose les fleurs sur la table de chevet et vient déposer un baiser sur mon front. «Comment vas-tu ?» «Comme quelqu’un qui sort de 4 mois de coma, et à qui ont vient d’apprendre qu’il ne remarchera peut-être jamais.». Elle baisse les yeux. «J’ai croisé ton médecin, il m’a dit. Je suis désolée Nuno. J’espère que ce n’est pas définitif.» Je me contente de hocher la tête doucement. Lorsque je baisse le regard, mes yeux s’arrêtent sur le ventre de Carly. Un ventre tout rond, pas énorme, mais il ne faut pas avoir fait maths sup’ pour comprendre. «Carly, c’est quoi, cette chose que tu devais me dire ?». Elle soupire un peu. «J’ai...» Elle soupire. «C’est compliqué.». Pas besoin de me faire un dessin. Elle m’explique que quand on s’est rencontrés, elle avait déjà quelqu’un dans sa vie, quelqu’un de plus vieux. Et il y a 5 mois, elle est tombée enceinte. Mais elle ne sait pas qui de nous deux est le père. Je tombe des nues. «Sors d’ici. S’il te plait, avant que je dise des choses que je pourrai regretter.»
Je n’ose même pas faire le résumé de ce qu’est ma vie aujourd’hui. Je me sens comme un moins que rien, je n’ai plus rien. Je suis totalement perdu, perdu dans cette vie qui n’est désormais plus la mienne. Je me sens comme un fantôme, le fantôme de moi-même.
Dernière édition par Nuno Beleza le Mar 22 Juil - 11:16, édité 1 fois