Petit con mal dans sa peau, il a mené la vie dur à sa famille. Il n'était jamais content de rien, il râlait pour tout et n'importe quoi, le monde entier semblait être responsable de ses malheurs, mais lui alors, oh non, il n'était responsable de rien. Petite victime accablée par le poids des mots méchants de ses camarades, il souffrait, vous comprenez. Seul lui avait le droit de souffrir d'ailleurs et les autres n'étaient que des idiots sans compassion, trop aveuglés par leurs pseudos problèmes d'adultes pour le comprendre. Lui, le centre du monde. Et cette mère bien trop absente pour prendre soin de lui et de sa petite sœur. Oh oui, la mauvaise mère qui suait sang et eau pour leur payer un toit et à manger. La mauvaise mère qui faisait tout pour qu'ils puissent partir tous les trois ensemble en vacances chaque année. C'est vrai que la pauvre maman, elle n'était pas là souvent et que Dan, il a dû gérer beaucoup de choses. On l'a poussé à grandir avant l'heure. Il a pas pu trainer dehors souvent avec ses copains, parce qu'il fallait garder la petite sœur pendant que maman bossait jusqu'à pas d'heure. Mais heureusement, la cadette, la petite Manola, prénom fantaisiste issue d'une envie soudaine de leur mère, elle était adorable. Sage, douce, toujours pleine d'attentions pour ce grand-frère si dévoué. Un peu maladroit, un peu râleur, oui. Mais tellement attentionné. Et le père dans tout ça, partit depuis belle lurette avec sa nouvelle amie. Plus jeune et plus jolie, à ce qu'il parait. Pourtant pour Dan, sa mère, c'est la plus belle. Y a pas mieux sur terre. Même que quand il était tout p'tit, il voulait se marier avec elle. Enfin. Le père, Dan et Manol, ils le voient un peu pendant les vacances scolaires. Dans une jolie maison, avec une piscine hors sol dans le jardin derrière. Mais ils se font chier là-bas. Parce que le père, il a rien à raconter à ses gosses. Et les gosses, ils ont rien à dire non plus. Manola, elle est toujours angoissée quand elle y va, elle pleure beaucoup avant le départ de l'appartement et quand elle rentre enfin, elle se jette dans les bras de sa mère et lui fait promettre de ne plus jamais l'abandonner là-bas. Mais ça marche pas. Ils y retournent à chaque fois. Parait que leur père veut les voir. Pourquoi ? La question reste sans réponse, même après toutes ces années.

Et puis, au milieu de tout ça, de cette cacophonie, des jeux vidéos, des innombrables râteaux, des boutons d'acné sur la tronche, de la découverte du porno, de la voix qui mue, des poils qui poussent et toutes ces conneries, y a Ohara. Elle est là, depuis toujours. Du moins, c'est l'impression qu'il a. Il se souvient pas de sa vie sans elle, ça remonte à tellement loin. La belle Ohara. Avec ces grands cheveux bruns et son visage si fin. Avec son rire si clair et la façon qu'elle a de poser les yeux sur Dan. Comme un frère. Mais lui, c'est pas son frère qu'il veut être. Amoureux de la petite, depuis toujours. Ohara, c'est pas son amie, non. C'est la femme de sa vie. Celle sans laquelle il ne s'imagine pas une seconde. Mais il voit bien que c'est pas réciproque. Alors, il dit rien et il garde ce lourd secret pour lui. Tant pis. Tant pis s'il a mal quand il dort près d'elle, tant pis s'il a mal quand elle en aime un autre, tant pis s'il a mal quand elle se colle à lui pour qu'il la réconforte. Tant pis s'il a mal tout le temps parce qu'il l'aime et pas elle. Il s'y est fait depuis le temps. Tout ce qu'il veut, c'est qu'elle reste auprès de lui, juste ça, ça lui suffit. C'est mieux que rien. Mieux que sa vie sans elle.

Et puis le lycée touche à sa fin et la grande vie commence. Il s'élance, dans la psycho, parce qu'il se dit que c'est un truc de faignant et que ça doit pas être bien compliqué. Mais il se plante le petit Daniel. Faut se lever, faut bosser. Et quand on joue aux jeux vidéos jusqu'au petit matin presque toutes les nuits, ou qu'on sort et boit jusqu'à plus tenir debout, forcément suivre les cours ça devient difficile. Il a décidé de ne plus y foutre les pieds du tout 5 mois plus tard. Lassé d'être toujours largué en cours. Mais sa mère, elle a pas apprécié. "Dehors" qu'elle lui a dit, "trouve toi un boulot et grandit !". Mais Dan, il a pas trouvé de boulot. Il a même pas essayé. Pas envie. Et puis, Jaxon était là pour l'accueillir de toute façon. Il lui a offert le gîte et le couvert. Ouais, Jax et lui, c'est un peu l'amitié improbable. Les gens se demandent souvent comment ils font pour se supporter. La vérité, c'est qu'ils ne se supportent pas trop. Qu'ils s'engueulent souvent, se critiquent tout le temps. Mais pourtant, ils peuvent pas se passer l'un de l'autre. Ils sont tellement opposés qu'ils s'équilibrent et se complètent, de la façon la plus tordue qu'il soit, certes, mais ça marche. La preuve.

Et puis, il sait pas trop comment, mais le petit Dan il a commencé à intéresser quelques filles. Oh c'était pas la folie et personne ne se battait pour l'avoir, mais il n'était plus invisible et ça, c'était déjà bien. Il eut sa première petite copine à l'âge de 17 ans et sa première fois à l'âge de 20 ans. Il a eut deux relations sérieuses, qui ont duré quelques mois. La première a finit par le tromper. La deuxième, c'est lui qui s'est lassé. La fille se comportait comme une petite princesse capricieuse, il en a eut marre et s'est taillé vite fait bien fait. Depuis, les très rares filles qu'il fréquente, c'est juste comme ça, pour s'amuser un peu. Rien de sérieux. Rien de glorieux. Y en a même une franchement casse-burnes. Era. Il sait pas trop pourquoi il revient à chaque fois, parce qu'ils s'en foutent tellement plein la gueule tout le temps. Et puis, il a parfois l'impression qu'elle le prend un peu pour un con. C'est frustrant. Limite humiliant. Parce que lui, il l'aime bien cette fille. Elle le fait marrer, il sait pas trop pourquoi. Et il sait pas non plus pourquoi elle revient elle aussi. Mais il évite d'y penser. Les choses sont ainsi, fin de l'histoire.