« Camille ? Je suis rentré. » Je ferme la porte derrière moi et laisse tomber mon sac de sport sur la moquette de l’entrée. Aucun bruit, rien. Je fronce les sourcils, traversant le hall pour arriver dans le salon et voir ma fiancée plongée dans un de ces bouquins dont elle raffole. Je souris faiblement et m’approche d’elle. Elle doit être tellement plongée dans son livre, qu’elle ne m’a pas entendu rentrer. Je me penche au-dessus d’elle et passe mes bras autour de ses épaules pour lui coller un baiser sur la joue. La jeune femme ne réagit pas, ne quittant pas son livre des yeux. « Ca va ? » demandais-je en me redressant, retirant mon pull à capuche. La jeune femme ne me répond toujours pas. « Camille ? » « Quoi ?! » finit-elle par lâcher, clairement blasée de devoir sortir de sa lecture pour me répondre. Je fronce les sourcils en croisant son regard qui ne brille plus comme avant. « Où est Sawyer ? » Elle hausse les épaules. « Comment ça ? » « J’en sais rien. J’ai dû lui changer sa couche y a environ une heure. Je l’ai pas entendu depuis. » Je tourne les talons à la vitesse de la lumière et grimpe à l’étage supérieur. Je fonce directement vers la chambre de notre fils et l’ouvre à la volée pour découvrir le nouveau né, endormi sur la table à langer, avec pour seul habit, sa couche. Je vais immédiatement le prendre, il est gelé. On est en décembre et même si sa chambre est chauffée, je doute que ça lui suffise. Je vais lui donner un bain tiède, en espérant que ça le réchauffe. Petit à petit, le nouveau né se réveille et commence à me faire savoir qu’il n’est pas très content. Il doit mourir de faim. Une fois que sa température corporelle est de nouveau normale, je l’habille d’un petit pantalon et d’un pull chaud. Depuis le moment où je l’ai trouvé sur la table à langer, je lute pour ne pas exploser. C’est la troisième fois que ça arrive cette semaine sauf que la première fois Camille l’avait oublié dans son bain et que la deuxième fois elle en avait marre de ses pleurs alors elle l’a laissé mourir de faim en cachant ses cris par de la musique. Tenant mon fils contre moi pendant que je réchauffe son biberon – vu que sa mère n’a pas de lait – je lance des regards à Camille qui continue de m’ignorer. « Mes parents arrivent dans une heure, tu te rappelles ? » « Ouais. » J’essaie de contrôler ma respiration pour ne pas exploser une fois de plus. « Est-ce que… Tu as prévu quelque chose pour le repas ? » Pas de réponse. J’ouvre le frigo et le découvre vide. Je serre les dents mais ne dit rien. Je garde ça pour plus tard. J’appelle rapidement le restaurant chinois et leur commande plusieurs plats différents. Heureusement, mes parents sont simples… Ma fiancée part se doucher et se préparer et pendant ce temps, je mets Sawyer dans son petit landau près du canapé pour qu’il puisse se rendormir. Lorsque je n’entends plus l’eau de la douche couler, je monte dans la salle de bain et m’appuie contre le carrelage pendant que Camille se coiffe, simplement vêtue d’une serviette éponge. Bras croisés, j’essaie de garder mon calme. « Tu sais qu’il aurait pu tomber de la table à langer ou mourir de froid ? » « Qui ? » J’abandonne. Je la laisse se préparer, préférant retourner au salon au cas où mes parents devaient arriver avec un peu d’avance. J’accueille le livreur chinois et lui paie la commande avant de tout mettre dans le four, prêt à réchauffer lorsqu’on voudra manger. Mes parents arrivent vingt minutes plus tard, leurs valises pleines de cadeaux pour leur petit-fils qui dort à poings fermés. Camille est toujours en haut, je suppose qu’elle est dans notre chambre. Je décide de réchauffer les plats et ma maman vient me rejoindre dans la cuisine. Elle voit bien que quelque chose ne va pas. Je lui parle du fait que ma fiancée ne me parle plus et qu’elle semble avoir complètement oublier avoir accouché d’un petit garçon il y a un peu plus d’un mois de cela. Je suis perdu et je ne sais absolument pas quoi faire. Ma maman me parle d’une sorte de dépression que les femmes traversent après l’accouchement mais elle pense à quelque chose de plus grave et que ma fiancée devrait suivre un traitement. Ma maman est médecin et je lui fait entièrement confiance quant à ce qu’elle pense qu’il se passe avec Camille mais je ne pense pas que ça soit si grave. « Je suppose qu’elle doit s’habituer à avoir à s’occuper de quelqu’un d’autre dans cette maison. C’est pour ça qu’elle l’oublie souvent… » « Tu lui cherches des excuses Josh… » Ma maman n’a pas tord. Je refuse peut-être de voir que ma fiancée a un réel problème de dépression post-partum. Lorsque je tourne la tête vers la porte de la cuisine, je constate que Camille est là, appuyée contre l’encadrement et qu’elle nous regarde avec des yeux que je n’avais jamais vus jusqu’à présent. Pourtant, je la connais depuis quatre ans maintenant. « Traitez moi de folle tant que vous y êtes. Oh et appelez les services sociaux, l’asile psychiatrique aussi ! » Ma maman et moi sommes bouches bées. Je regarde Camille s’approcher de nous, l’air menaçant. « Mon cœur, tu vas réveiller Saw… » « Normal que je prenne mes distances à force de passer mes journées avec votre fils qui me demande de m’occuper de son fils alors que celui-ci m’a empêché de dormir toute la nuit. J’ai pas demandé à avoir un enfant vous savez, c’est pas mon problème qu’ils sont apparu comme ça dans ma vie et que je m’en fiche complètement qu’il ait faim ou qu’il faille lui changer sa couche. » Je suis figé sur place. Comment ose-t-elle dire ça ? Cet enfant on le voulait tout les deux. Quand Camille était encore douce, gentille et drôle. Quand son visage n’avait pas les traits tirés et qu’elle semblait heureuse à mes côtés. Elle voulait fonder cette famille autant que moi. Elle a pleuré de joie en voyant Sawyer après plusieurs heures de douleur dans la salle d’accouchement. Je ne comprends vraiment pas ce qu’il s’est passé et je n’arrive tout simplement pas à ouvrir la bouche pour dire quelque chose. « Je me casse de cette maison. Je me sens enchainée. » Et sur ce, elle a pris ses affaires et elle est partie, me laissant seul avec notre fils de deux mois.

Camille n’est toujours pas revenue à la maison, je ne sais d’ailleurs même pas si elle est toujours à San Francisco ou si elle vit encore. Mon papa est remonté à New York pour son travail mais ça fait un mois que ma maman dort dans la chambre d’amis et qu’elle s’occupe de Sawyer pendant que je travaille. Nous avons fait des recherches et apparemment, Camille traverserait non seulement une dépression post-patrum mais aussi une sorte de déni, comme si pour elle, Sawyer n’était pas son fils. Comme si elle ne l’avait jamais porté. Le problème c’est que je ne sais pas où elle se trouve et que sans un traitement, Sawyer ne verra peut-être jamais sa maman. Et moi, je ne me marierai jamais à celle que j’aime tant.