Affalée dans mon fauteuil préféré, les pieds sur la table et les yeux rivés sur le plafond, je porte ma cigarette à mes lèvres pour en tirer une long bouffée. Je fais quelques cercles et finis par souffler le reste de la fumée. Un morceau de classique passe en boucle. Je déteste le classique. Je déteste le classique mais elle, elle l’aimait. Il y avait peu de chose qu’elle n’aimait pas. Mis à part peut-être l’attachement aux choses, aux gens. J’entends quelques pas et je ferme les yeux. Les pas se rapprochent et je sens un baiser se poser sur mes lèvres. Je ne bronche pas et tire une nouvelle fois sur ma cigarette. «Je savais pas que tu fumais.» Je laisse échapper un rire, un rire narquois, cynique. «Tu savais que j’écoutais du classique ?» «Non plus.» «Normal. J’écoute pas de classique en temps normal.» Je me redresse et retire mes pieds de la table pour venir écraser ma clope dans le cendrier. «Alors c’est quoi ? Le rituel d’après l’amour ? Clope et Beethoven ?». Je ris. Un rire infecte. Un nouveau. «Tu sais quoi, tu devrais partir.» «T’es sérieuse ?» «T’as rien à faire là.» Non bien sûr. C’est toujours comme ça avec moi. Une nuit, et puis c’est fini. Il n’y a jamais eu personne qui a réussi à me faire oublier son visage. Fani. C’est devenu un rituel. Après avoir couché avec quelqu’un, qu’il soit un homme ou une femme d’ailleurs, j’écoute ce morceau. Comme pour ne pas oublier son visage. Mais comment pourrais-je ? On était si jeunes. C’était si beau et à la fois si insignifiant. Du moins, c’est ce que j’ai essayé de me faire croire pendant deux longues années. Et ce n’est pas encore fini, visiblement. Le jeune homme avec qui j’ai passé la nuit se dirige vers la porte d’entrée. «Tu m’appelleras ?» «Hum...» Une simple onomatopée. Ça suffira. Et au moment où Maxim ouvre la porte, c’est Sawyer qui entre. «Salut !». Elle referme la porte derrière Maxim. Bon débarras. «Il était mignon celui là, tu vas le garder un peu ?» Je soupire. Ma soeur a toujours su trouver les bons mots. Elle est une des rares personnes a savoir ce que j’ai vécu avec Fani. Quand je suis rentrée de notre escapade, il fallu que j’en parle à quelqu’un, et c’est naturellement vers elle que je me suis confiée. Je n’ai jamais caché mon attirance pour les femmes, et heureusement, je vis dans une famille qui accepte à peu près tout, y compris les plantes médicinales un peu illicites. «Ça pue la clope ici, tu pourrais aérer. Hey mais c’est quoi cette tête sérieux ? On dirait que tu vas te tirer une balle dans la tête.» «T’as raison ! C’est con !» Je me lève d’un seul coup, éteins la musique, et cours dans ma chambre, après avoir pris soin de plaquer un baiser sur la joue de ma cadette. «J’viens d’avoir mon salaire, on va faire les boutiques, ça t’dis ?» Evidemment, elle dira jamais non à une virée shopping. On a beau ne pas avoir le même sang, pour ça, y’en a pas besoin. Je reviens toute pimpante, prête à passer une bonne journée. «Tu vas passer à autre chose un jour ?» Je fronce les sourcils et la regarde, interrogatrice. Elle me tend le bouquin que je suis en train de lire en ce moment, et l’ouvre au niveau de mon marque pages. Une photo de Fani. Je referme le bouquin de mes deux mains et le balance sur le canapé. «C’est qui déjà celle là ?» Je ris un peu et fais un signe de tête à ma soeur pour nous diriger vers la sortie. Au moins, le shopping, ça change les idées.