à chaque fois que tu le vois, tu te demandes pourquoi.
c'est con.
c'est pas comme-ci votre histoire était basée sur ce bout de bois.
c'est con.
mais quand tu le vois tu peux pas t'empêcher d'te rejouer la scène.
encore.
et encore.
c'est qu'un bout de bois.
mais c'est aussi plus que ça.
c'était le début, c'est la fin.
c'était blair et toi.
le banc.


La contradiction. Tu veux pas et pourtant t'es là. La jointure de tes doigts est rouge sang, le fluide rouge pulse sous ta peau mordue par le froid. Tes pieds frôlent le sol, tu dérives. Les feuilles tombent des arbres à mesure que toi, tu te perds dans ta tempête intérieure. Celle qui fait rage à la frontière de ton coeur et de ta raison. Tu marches lentement, perdue dans tes songes encombrés. Tu marches pour te changer les idées. Du moins t'essaies et c'est loin d'être gagné. La douce mélodie te fait glisser sur le sol, tu te laisses emporter. Cette musique insonore qui te porte mètre après mètre, heure après heure. Tu ne saurais même pas dire depuis combien de temps tu déambules sans but. Tu zigzagues entre les quelques rares passants nocturnes qu'tu croises. Ta notion du temps s'est éteinte en même temps que le soleil s'est tué à l'horizon. Tu marches dans la noirceur de la nuit, tes mains enroulées autour de ton corps frêle qui tremble un peu plus à mesure que le crépuscule t'enveloppe. A la base, tu n'voulais pas venir ici. Ta lèvre inférieure emprisonnée entre tes dents, t'explores le sentier d'un œil distrait. Tes pupilles balaient le sol rapidement. Elles ne s'accrochent à rien en particulier, elles se contentent de survoler, elles ne font que passer. Et puis soudain, tu comprends pas trop pourquoi mais le coin de tes yeux se voile sous la lune cristalline. T'agites violemment tes paupières, tu vas pas te mettre à chialer, merde. Tu te trouves pathétique. Et ta vision qui se trouble de plus en plus. Tu te fais du mal pour rien. Au lieu de faire demi-tour, au lieu d'éluder la chose, tu continues. Tu ne peux pas t'arrêter, t'es comme branchée sur automatique. Et puis tu sais que t'oublies momentanément, jamais définitivement. Ca revient toujours à un moment. Cycle infernal. Au fond de toi, tu veux t'tester. Parce que t'es comme ça, tu fais les choses jusqu'au bout. Le silence qui t’entoure te dérange, c'est trop calme, trop sombre, trop tout. Tu te sens petite, vulnérable. T'as l'impression d'être seule au monde aussi et ça n’arrange en rien ton état actuel. Le bruit de tes baskets qui écrasent le gravier casse un peu l'atmosphère angoissante mais t'en as pas moins le cœur qui s'emballe. Et puis tu relèves la tête. Tu reconnais le virage, juste après l'érable. Tes pupilles l'accrochent. Et c'est comme si on t'avait arraché les tripes, piétiné le cœur. T'es figée sur place.

Tu ressers lentement tes bras autour de toi. La brise se faufile entre les mèches de ta cascade blonde.
Tu l'fixes jusqu'à ce que les larmes finissent par venir souiller tes joues glacées.
Le banc.
Tu l'fixes jusqu'à ce que tu ne le voies plus vraiment, jusqu'à ce que la réalité se mélange aux souvenirs, jusqu'à ce que son nom résonne distinctement à tes oreilles.
Blair.
C'est la première fois qu'tu reviens. La première fois depuis que t'es tombée, la première fois depuis que tu l'as regardé s'envoler.

Il faut te changer les idées Az', tu vas pas attendre que ça se passe en te laissant crever comme un rat mort. Le rat est déjà mort Tavi. Ouais mais ça fait la fout bien, critique pas. Et change pas de sujet oh.
Elle a essayé, vraiment.

Tes doigts tremblent. Les couleurs se mélangent, tournent, se percutent autour de toi. Ta vision se trouble, tes cheveux sont plaqués contre son crâne, tu bouges ton corps en rythme avec la musique. Tes paupières sont closes, tu vois des étoiles. Le sang pulse violemment dans tes veines, tes tympans vrillent en harmonie avec les ondes sonores, t'as la tête qui tourne, les mains moites et le cœur qui bat à 100 à l'heure. Des corps se frottent à toi, t'en as rien à carrer. Tu n'sais plus où tu vas, tu n'sais plus où tu es. La musique infiltre ton épiderme, slalome entre tes pores, joue avec ta réalité. Drogue suave. L'air est lourd, chargé. L'atmosphère presque électrique. Les sons se répercutent sur les parois de l'entrepôt, ils s'infiltrent au cœur de la foule. Tes mains frôlent des corps, des bouts d'tissus. Tes ongles essaient de s'enfoncer dans quelque chose, n'importe quoi. Mais ça tourne trop vite. Tu sens que t'arrives à ta limite. Ça s'faufile sous ta peau, s'évade sous tes doigts. Et t'essaies, encore et toujours. Tu n'as pas de prise, tu tombes. Tes pupilles reprennent vie, t'ouvres les yeux et les flashs de lumières te tuent la rétine. Des doigts emprisonnent ton poignet, tu tentes un geste sec, les doigts se délient.  Tes pupilles dilatées te donnent l’allure d'un chiot effrayé. Et c'est probablement ce qui s'rapproche le plus de la situation. T'émanes la peur. La main agrippe une nouvelle fois ton poignet. Tu jures entre tes dents. Le type se fraie un chemin jusqu'à tes oreilles, son haleine alcoolisée te murmure un putain de plan à la con, toi, moi, toute la nuit bébé. Tu ris, ça sonne faux, amer, l’alcool te contrôle. Viens, on va parler. Tu te retournes enfin pour voir la gueule du gars. Ses cheveux bruns lui encerclent le visage et pendant une poignée de secondes ton coeur s'arrête de battre. Le temps s'arrête. L'alcool et toi, vous n'êtes pas compatible. Il te tue en deux gorgées. Cette nuit, t'as abusé, t'as arrêté de compter à 10. Gorgées, verres, bouteilles? T'en as aucune foutue idée. ''Change-toi les idées.'' Mais ouais putain, pourquoi pas? Qu'est-ce qui t'en empêchait hm? Tu t'es levée et t'es parti te préparer dans ta chambre sous le regard rassuré de la blonde. L'enthousiasme de Tavi t'a contaminé. Et t'étais tellement sûre de ton coup, tu pensais que c'était ça la réponse. Tu devais te laisser aller, décompresser. Sauf que là, au milieu de cette mare humaine, t'as plus l'impression de te noyer que d'immerger. Il a des yeux bruns, pas bleu à tendance vert opaline. Quand sous la pression tu lui avais avoué que t'avais cherché sur google la couleur exacte de ses iris, il s'était foutu de toi pendant 5 bonnes minutes. T'avais fait mine de faire la gueule, il t'avait attiré à lui et tu t'étais laissée emprisonner entre ses bras musclés. T'es vraiment sûre que ça existe? On dirait qu'c'est une grosse blague. Vert opaline. Et il avait répété le mot plusieurs fois, il l'avait fait rouler sur sa langue, jusqu'à ce qu'il perde son sens. Avec son foutu sourire à la con plaqué au coin d'ses lèvres. Blair. T'es mignoooooonne. Blair, ta gueule. Moi aussi je t'aime Bab. T'es con. Il avait ri et t'avais posé violemment tes lèvres sur les siennes histoire de lui arracher d'un coup de langue son air satisfait. Et puis t'avais ri aussi. T'es pas- vert. Vert opaline. Casse-, casse-toi. Tes mots s'mélangent. Tu confonds le sol et le plafond et le type te scrute toujours intensément avec cette vieille lueur dégueulasse au fond du regard. Tes ongles s'enfoncent dans la peau de sa main. Il te lâche. Tu disparais dans la masse. Ta respiration est trop rapide, t'en peux plus, tu veux sortir. Tu trébuches sur des gobelets abandonnés, tu glisses sur des objets non identifiés. La foule se resserre autour de toi, tu trembles. T'as peur.

Cette nuit-là, allongée sur les draps froissés de ton lit, t'as passé une bonne heure à fixer la lune comme si c'était elle qui détenait toutes les réponses à tes questions;

Dehors le vent souffle. Tes yeux lancent des éclairs, t'es énervée contre la vie, contre cette putain de soirée qui s'est cassée la gueule, contre toi-même, contre lui. A côté de ton lit, sur la table de chevet, l'écran de ton portable s'éclaire pendant une microseconde. T'hésites pendant un instant, l'ongle de ton index détenu captif entre tes dents. Tu pèses le pour et le contre en continuant ton duel interminable avec la lune diaphane. Ton sang pulse désagréablement sous tes tempes, ta tête te tue un petit peu plus chaque seconde qui passe et ton ventre se tord douloureusement. Tu t'redresses difficilement, la tête lourde, un bourdonnement désagréable au fond des oreilles. Tu te penches avec difficulté et t'agrippes ton portable d'une main incertaine. Après une longue minute, tu parviens à le déverrouiller. T'as deux de tens et encore, c'est large. Les branches de l'arbre griffent ta fenêtre. Le vent s'emballe. Tu cliques sur son nom, ton doigt tremble. Vos conversations apparaissent sous tes yeux à l'allure de cascade, ton pouls s’accélère. Tu survoles les messages. T'as pas pu te résoudre à les supprimer. Et puis t'écris "tu m'manhgquezs''. T'hésites. T'hésites. T'hésites. T'hésites et puis tu l'effaces. T'effaces tout. Sans vraiment le vouloir, juste parce que t'es complètement morte et que tu te rends à peine compte de ce que tu fais. Tu vires son numéro aussi. Et la lune qui te nargue de sa translucidité. T'envoies valser ton portable par terre avant d'enfouir ta tête dans tes mains. Peut-être que si tu restes assez longtemps comme ça, cachée du monde qui t’entoure, t’arriveras à disparaître?

Le lendemain, quand tu t'es réveillée, la première chose que t'as vu ça a été cinq lettres écrites en gras sur le mur souillé de ta chambre. Putain c'est quoi ce bordel? T'as baissé les yeux vers tes mains, t'avais les doigts noirs charbon. Cinq lettres. B l a i r.

Blair encore, Blair toujours.

[...]

Tavi, j'pense que j'ai un léger problème...